Le retour...
Désolé.
Je ne sais pas si c’est bien ce que je vais faire. Peut-être que je ne devrais pas. Mais tant pis. J’en ai besoin.
Pourquoi reprendre le clavier, malgré pleins de pulsions contraires, puisque que c’est douloureux pour moi en ce moment ?
Autrefois, il y a un siècle, j’étais prêt à pleins de fantaisies, de gaudrioles, de cabrioles grotesques. Autrefois. J’en avais même fait une liste que je finirais - peut-être - un jour…
Mais pas en ce moment. Dans mon entourage, quelqu’un que je côtoie fraternellement depuis plus d’un demi-siècle, prend lentement la poudre d’escampette, sans que personne n’y puisse s’y opposer. En toute âme et conscience. En se voyant marcher vers le Styx, en comptant ses pas, lentement, tortures suprêmes.
Tempête des sentiments. J’ai fermé mes écoutilles. Alors, pourquoi ce retour ?
Parce que quelqu’un d’autre m’a écrit :
- Je t’aime !
et que, sans réfléchir, pour faire un jeu de mots, j’ai répondu :
- Je m’aime aussi…
Et ce matin, cela m’a explosé au visage. Ce je m’aime, tout le monde le vit, mais encore faut-il d’abord s’entendre conforter par un je t’aime. Je m’aime parce que tu me dis que je suis aimable. Je t’aime parce que je m’aime. Tu m’es indispensable.
J’ai pris conscience qu’il fallait lui dire que je l’aime pour qu’elle s’aime aussi.
Sur la photo avec Maman, elle est au centre.
Plus tard c’est aussi la plus têtue (chez nous on dit machue). Et avec moi, pendant la petite enfance, c’est celle contre laquelle je me bats le plus souvent. Au sens figuré et verbal du terme. Les noms d’oiseaux furent fréquents. Et souvent. Dans les deux sens.
Un, qui est resté tristement célèbre dans les mémoires et qui la rend encore chagrin, après tant d’années : « va donc ! tête de hareng-saur pourri ! ». Sacrée imagination pour un ensemble de mots qui se voulait gros et vexatoire. Le pire, c’est que derrière ces mots, somme toute triviaux, toute la violence verbale de mes cinq ans y transpirait. La flèche atteignait son but.
Pitoyable. Mais la vie est-elle autre chose que de petits moments pitoyables dans un océan de lâchetés tiédasses ?
On n’avait pas l’habitude de vivre ensemble, finalement. D’ailleurs dans la vie on était loin réciproquement. Elle, trente ans en Allemagne. Moi ailleurs, souvent.
Il a fallu plus de vingt ans pour qu’on se parle vraiment. Qu’on se reconnaisse de la même famille. Qu’on prenne plaisir aux réunions familiales.
C’est à peine croyable, quand j’y repense.
On s’est découvert mutuellement. Par hasard. Presque curieusement…
Et puis j’avais aussi grandi. Forcément. Heureusement.
Aujourd’hui, on chercherait vainement où est enterrée la hache de guerre. Disparue. Enfouie au plus profond du passé familial. D’ailleurs existe-t-elle encore ? J’en doute.
Et voilà que nous sommes au croisé des chemins. Devant un calvaire. Le sien. Les routes vont se séparer dans un temps infini. Demain. Dans quelques semaines. Dans un petit nombre de mois. Qui peut le dire ? Mais la séparation est annoncée. Vécue comme telle. Inexorable.
Sauver la face. Faire semblant. De chaque côté. En le sachant. En sachant qu’on le sait. Pour ne pas attrister plus l’autre. Pas augmenter son chagrin au-delà de l’insoutenable. En espérant qu’il comprenne. En sachant qu’il comprend. La compassion.
Elle pleure dans nous.
Tu sais quoi ?
Le hareng-saur pourri ?
C’est moi. Désolé.